Réaliser son herbier à Bordeaux
Occuper les enfants pendant la période du confinement n’a pas été chose facile. Espérons que la circulation du coronavirus ne nous imposera pas, à l’échelle locale ou nationale, de restreindre de nouveau notre rayon d’action. Il existe pourtant une activité facile, peu coûteuse, à pratiquer dans la ville : constituer un herbier. Jusqu’à une date récente, herboriser était plutôt désuet. Les herbiers nous ramenaient à des images sépia de jeunes filles de bonne famille complétant leurs collections de feuilles et de fleurs entre deux séances de broderie ou de piano malhabile, ou d’élèves dénicheurs d’oiseaux faisant semblant de s’intéresser aux ombelles de carotte sauvage brandies par l’instituteur. Ces dernières années, on a vu réapparaître au rayon des loisirs créatifs des presse-fleurs et des carnets à herbier. Des ouvrages ou des expositions ont été consacrés à ce thème dont ce magnifique livre de Stéphane Marie et Marc Jeanson, L’Herbier de Gherardo Cibo, qui reproduit des planches botaniques du XVIème siècle.
Bien sûr, pour cueillir et collectionner des plantes, rien ne vaut une balade à la campagne. Mais désormais, nous avons à deux pas de chez nous de quoi remplir nos herbiers. Une seule précaution est à prendre : porter des gants.
En effet, depuis 2017, l’usage de produits phytosanitaires est interdit dans les rues. Des plantes s’enracinent dans les recoins les plus inhospitaliers, envahissent les trottoirs, se logent dans le moindre interstice ou anfractuosité, illustrant une capacité d’adaptation et une volonté de survivre et de se propager peu communes. Les avis sont partagés : certains trouvent que ces « mauvaises » herbes, celles-là mêmes que l’on combat dans le potager, comme le chiendent et ses maudits rhizomes, salissent les rues et doivent être éliminées (en oubliant qu’il revient à chaque propriétaire de biner devant chez lui). On peut le comprendre lorsque les petites feuilles verdoyantes et les fleurs jaunes de pissenlit du printemps cèdent la place aux végétaux racornis par la chaleur de l’été, blanchis par la poussière des ravalements et cachant leur lot de dépôts peu ragoûtants. D’autres refusent ce qualificatif infamant et parlent d’adventices, de plantes sauvages, de végétation spontanée qui contribuent à la biodiversité.
Bordeaux, une ville plus verte
Je ne parle pas des espèces dont la ville de Bordeaux offre des graines conformément à sa charte de végétalisation des rues : clématite, jasmin, passiflore, chèvrefeuille et rose trémière et pour lesquelles vous verrez que le long des murs, comme dans la rue Tanesse, non loin de chez moi, des pavés sont enlevés pour créer une fosse à planter. Je parle de ces petits arbres qui poussent sur un coin de trottoir, dont de vigoureux figuiers, et des plantes tenaces et courageuses que j’ai commencé à recenser comme faisant partie dorénavant de notre monde urbain : le pourpier sauvage, que quelques centimètres cube de terre poussiéreuse font prospérer jusque dans les rigoles ; le plantain et ses épis, dont, enfant, je faisais des projectiles ; la bourse à pasteur, le mouron des oiseaux ; cette coquine de « ruine de Rome » qui séduit avec ses petites fleurs violettes à cœur jaune mais colonise la fonte de voirie de ses lianes interminables, et, plus utile – j’en repère toujours les spécimens – la chélidoine aux feuilles dentelées dont les tiges renferment un suc jaune aux propriétés médicinales qui lui vaut le surnom d’herbe aux verrues.